Oula, qu’est-ce que c’est que cette histoire d’Ardennes Flamandes ? Ardennes OK, Flandres OK… mais Ardennes Flamandes ? Pas de panique, nous étions les premiers surpris lorsque Visit Flanders, l’office de promotion de la Flandre, nous a convié à venir découvrir le territoire par nous-mêmes à la mi-octobre. Tout simplement car nous ne connaissions pas encore l’existence de ce morceau du Sud de la Flandre Orientale plus vallonné et vert que le reste de la région. Il s’agit en réalité d’une hyperbole au même titre que peuvent l’être les qualificatifs « Venise du Nord » pour Amiens ou Stockholm ou « Suisse Normande » pour la partie vallonnée de la Normandie. Nous avons, avec Nicolas, passé deux jours sur place à la découverte des pépites brassicoles… mais pas seulement ! Vous me suivez ?
Dans la peau de Wout Van Aert
Notre arrivée à Audenarde, la capitale des « Vlaamse Ardennen », se fait peu avant le déjeuner. Le soleil est plus qu’au rendez-vous et les températures sont très douces pour la saison. C’est donc en sifflotant qu’on pose nos valises dans le très bel hôtel Leopold situé à 3 minutes à pied de la Grand Place locale. C’est parti pour deux jours de découverte totale car même si je peux me qualifier de grand connaisseur de la Belgique, je ne suis encore jamais venu dans cette région au nom très intriguant pour un (vrai) Ardennais.
J’apprends assez rapidement que le vélo revêt une importance toute particulière ici. Les maillots décorent les rues et la petite reine est omniprésente. Mieux encore : des plans éparpillés dans la ville font la promotion d’itinéraires à vélo parfaitement balisés. Parfait pour une sortie vélo-bière. Mais en attendant, direction le Centre Ronde Van Vlaanderen qui regroupe en un espace, le musée du tour des Flandres (une des courses cyclistes les plus importantes du « plat-pays »), un café-restaurant, une boutique-librairie et même un espace dédié au vélo-tourisme avec douches, location de vélos et vestiaires. Le paradis de la bicyclette ! Pour nous, ce sera une pause au Peloton Café à l’arrière du bâtiment. Carbonnade Flamande, croquettes et deux bières locales (la Flandrien de la brasserie Haacht et la Kwaremont de la brasserie De Brabandere) viennent nous régaler.
Ce cher Charles Quint, jamais avare de bonnes blagues

Après cet instant gourmand, nous avons rendez-vous avec Michel, un guide local francophone très sympathique qui nous fait visiter sa ville et nous conte un tas de petites histoires locales. Prenons-en une au hasard : le clocher de l’hôtel de ville est surmonté d’un personnage portant des lunettes. Il s’agit de Hanske de Krijger, le gardien de la ville. Lorsque Charles Quint visita Audenarde au XVIe siècle, personne n’était là pour l’accueillir avec les honneurs. Normal, le jeune Hanske s’était endormi ivre au sommet du beffroi puisque, dit-on, la bière vieille brune de la ville était si bonne qu’on ne pouvait lui résister. Charles Quint, remonté, conseilla vivement aux habitants d’acheter des lunettes au garde. Depuis, les lunettes ornent les armoiries de la ville et accompagnent le visage d’Hanske au sommet de l’hôtel de ville.
Des marchands de tapis
Après cette douce balade digestive, et il en faut toujours une après une riche carbonnade Flamande, Michel décide de nous faire visiter le somptueux hôtel de ville qui abrite le MOU pour Museum of OUdenaarde (le nom Flamand de Audenarde). A l’intérieur, une riche collection comprenant de très nombreuses tapisseries, également appelées verdure, représentant des animaux et végétaux. Il s’agit de l’une des plus importantes collections au monde : la ville en ayant fait sa spécialité depuis le Moyen-Âge. C’est en partie grâce à cet art que la cité a prospéré ; mais notons que la bière a également joué un rôle majeur ici. Chiffres à l’appui, au milieu du XVIe siècle, la ville comptait une vingtaine de guildes dont la plus puissante était celle des brasseurs. Un tiers des revenus de la ville provenait des accises collectées auprès des nombreuses brasseries.
Bière et vélo : un couple qui fonctionne
Aujourd’hui encore, la bière occupe une place majeure dans l’esprit des locaux. Pour preuve, la ville est riche de 8 brasseries allant de la petite micro à la grande brasserie historique. Ça vous étonne si je vous dis que nous ne nous sommes pas privés d’en visiter une poignée ? En effet, dès le lendemain matin, une fois nos vélos électriques loués chez Asfra à deux pas du centre, nous nous sommes dirigés vers l’incroyable (et c’est un euphémisme) brasserie Liefmans. Après trois coups de pédale, nous voilà arrivés devant une énorme cuve en cuivre qui annonce l’entrée. Tout au bout, après avoir longé d’interminables ateliers en brique, nous arrivons face au café de la brasserie qui s’étire admirablement aux côtés de l’Escaut troublé par la danse incessante des péniches.
Bock to the future chez Liefmans
Bert nous attend. Grand, pressé et passionné, il semble faire partie de la brasserie depuis sa création en 1679. Il maitrise son sujet sur le bout des doigts et nous ouvre les portes d’une affaire familiale passée en 2008 aux mains du groupe Duvel Moortgat à la suite de la faillite de l’entreprise un an plus tôt. Et le moins que nous puissions dire, c’est qu’ils ont bien fait tant ce joyau historique et patrimonial méritait d’être sauvé.
La visite commence par la partie la plus ancienne de la brasserie – datant des années 1930 – transformée depuis en musée. Vieilles cuves, tableaux et bibelots se répondent dans un cadre poussiéreux et lumineux. On sent l’âme de Liefmans partout et on se surprend à s’imaginer ouvrier de brasserie durant l’entre-deux-guerres. Bert nous montre, tout sourire, comment les générations passées faisaient pour éviter que les insectes puissent entrer et se déposer dans les cuves ouvertes. Car ici, et encore aujourd’hui, la fermentation se fait naturellement grâce aux bactéries et levures présentes dans l’environnement. Malgré 80 000 hectolitres annuels, la patience est donnée aux brassins et la fermentation peut s’exprimer autant de temps qu’il lui faut.
La visite se poursuit, cette fois en passant par le site de production actuel, en pleine activité. Après une seconde partie moins sexy mais toujours aussi intéressante (les lignes d’embouteillage, le parc de fûts et les fermenteurs en inox), il est temps de regagner le bar de la brasserie pour une session dégustation en compagnie de notre hôte. Au programme 4 références de la gamme. Ma préférence va évidemment au style local : la Oud Bruin Goudenband ! A ma grande surprise, la gamme que j’imaginais très sucrée ne l’est pas du tout – exception faite de la Fruitesse – ce qui me sied très bien.
Creating beer tourism since 1545
Il est temps pour Nicolas et moi de regagner nos montures à pédales. Direction la brasserie Roman, que je ne connaissais alors que via la gamme de bières d’abbaye Ename. Il y a pourtant tant à dire ! Pour preuve, c’est la plus vieille brasserie familiale Belge avec la 14e génération aux manettes ! Rien que ça.
Après quelques joyeux 6 kilomètres dans les vallons des Ardennes Flamandes, à travers une partie du parcours de la célèbre course cycliste, nous voilà arrivés au cœur de la forteresse brassicole. Un géant Art déco, là encore, s’étire devant nous. 200 000 hectolitres de muscles sous notre nez et bientôt un demi millénaire d’activité brassicole. Rien que ça. Dans la cour intérieure se trouve le bar de la brasserie, c’est là que nous troquons nos bicyclettes contre de magnifiques chasubles estampillés de la baseline de la maison qui n’a pas manqué de nous faire sourire ; à savoir « Creating Beer Tourism since 1545 », on se sent tout de suite à la maison.
Une fois les portes de la brasserie poussées, on comprend sans conteste que la Belgique est l’un des plus grands pays de la bière au monde ! Autant de brasseries historiques, avec leurs cuves centenaires toujours en action. Autant de styles différents, un sens de l’accueil inégalé et des siècles de savoir-faire : on ne retrouve décidément pas ça partout. Mais plus que des mots, les images parlent pour moi. Internet n’a pas encore inventé le moyen de vous faire déguster à distance, alors je vous invite chaleureusement à découvrir ce petit bout de Belgique, et tout le reste d’ailleurs, par vous-même ou avec moi. Bonne route de la bière.