10h30 sous un soleil éblouissant, plutôt rare en ce début d’octobre, il faut l’avouer. Me voici dans la jolie petite ville d’Armentières à 10 kilomètres de Lille dans le but de visiter l’ancienne célèbre brasserie-usine Motte-Cordonnier. S’en suivra la soirée d’inauguration de la nouvelle aventure familiale.
Alternante de 23 ans au sein de l’Echappée Bière, je n’avais encore jamais eu l’occasion de visiter un tel site industriel. Cette visite, je l’ai longtemps attendue puisqu’on parle ici d’un fleuron de l’industrie brassicole régionale. Un ancien colosse qui a régné en maître sur le Nord-Pas-de-Calais pendant plusieurs siècles. Il suffit de visiter l’étendue du site historique pour comprendre davantage ce qu’a pu représenter cette brasserie dans la région. Pour en savoir plus, je suis partie à la rencontre de Henry, l’aîné de la 10e génération Motte-Cordonnier. Ce dernier est à la tête de la brasserie depuis avril 2021.
Un lieu hors du commun…
A peine le portail franchi, je suis bien imprégnée de l’emblématique étoile figurant sur le logo de la brasserie, dont je comprendrais plus tard la signification. Je pris conscience de l’ampleur de ce site historique avec un passé de 370 ans. Au milieu de ce brouhaha de chantier me voilà devant cette immense bâtisse de 40 mètres de haut. Mes 1 mètre 59 et moi, nous nous sentions vraiment ridicules. Il est vrai que le site représente un véritable trésor architectural. J’ai été stupéfaite de voir la façade encore en très bon état malgré les affres du temps.
Le bâtiment, en profonde requalification, a su conserver toute son authenticité et l’on peut encore apercevoir le nom de l’enseigne sur la faïence dès l’entrée. Autant d’éléments qui témoignent de la puissance passée des lieux. De nombreux hangars dédiés auparavant à la logistique, au stockage et au logement du personnel entourent le vestige principal. Muni de mon casque de chantier, légèrement trop grand pour ma petite tête, je pénètre à l’intérieur des lieux pour découvrir les immenses cuves où jadis, jusqu’à 800 000 HL de bière étaient brassés. Je me suis retrouvée totalement impressionnée par l’écho qui raisonnait à l’intérieur de ces gigantesques cuves.
… adossé à une petite brasserie
Après m’être fait gronder par un des hommes du chantier car je ne portais pas de chaussures de sécurité, je ne m’éternise pas plus longtemps à l’intérieur du site. A quelques pas du site historique, aujourd’hui en partie classé, se trouve la ruche d’entreprises d’Armentières vers laquelle je me dirige. Là bas, ce sera l’occasion pour moi de faire la connaissance d’Henry Motte. A mon arrivée, France 3 et Lille Actu se tiennent prêts à interviewer ce dernier. C’est dans ces petits locaux, loin du faste d’antan, qu’une partie de la gamme est développée et brassée depuis juillet, en attendant de pouvoir réinvestir le site originel.
Une ambition familiale
Je découvre Henry Motte, un grand blond d’1m90 au sourire marqué et contagieux. Vêtu d’un tee-shirt portant fièrement l’étoile Motte-Cordonnier, on ne s’y trompe pas : la brasserie est avant tout une histoire de famille. Ancien chef de projet dans le merveilleux monde de l’informatique, il décide de tout plaquer en 2019 pour faire revivre les traditions brassicoles de sa famille. Henry est accessible, ne se prend pas la tête et est un bon vivant. Son truc à lui, c’est transmettre sa passion pour la bière et partager l’immense histoire familiale.
Nous nous sommes installés autour du comptoir (celui que vous pouvez apercevoir ci-dessous) et il m’a raconté la grande histoire. A l’aube de ses 30 ans, il est bien décidé à reprendre le flambeau de son défunt grand-père, René. 10e génération consécutive, Henry est motivé et déterminé à l’idée de recréer la brasserie sur le site historique d’Armentières. De 6h du matin à 21h le soir, il ne ménage pas ses efforts pour perpétuer les traditions de Motte-Cordonnier. Mais rassurez vous, il n’est pas le seul à s’impliquer dans le renouveau de cette aventure. La famille au complet suit de près le projet et est toujours disponible pour mettre la main à la pâte.
“Cette marque représente énormément
Henry motte
pour nous, car éponyme bien sûr, mais
c’est aussi un lien avec notre histoire et
un amour partagé du produit, la bière.”
Le projet
En attendant de pouvoir réinvestir le site historique, le local appartenant à la Métropole Européenne de Lille abrite une brasserie d’une capacité de 10 HL par brassin. Elle comprend deux cuves de brassage : une d’empâtage/ ébullition et une de filtration. Pour couronner le tout, rien ne serait possible sans les 4 fermenteurs de 20 HL, une embouteilleuse et une laveuse de fûts qu’Henry s’est fait une joie de me montrer. Même si les travaux semblent astronomiques pour redonner vie au site historique, Henry a espoir de réinvestir les lieux à court terme, soit en 2023. Il aimerait ainsi y redévelopper une activité de production et raconter l’histoire du lieu au sein d’un musée historique. Le tout couronné par la présence d’un estaminet pour se restaurer.
Des bières… historiques
Aujourd’hui, 5 bières sont brassées dans le local à côté du site historique. Avec une production de 1000 hectolitres par an, on est bien loin des 800 000 hectolitres brassés dans les années 1960.Parmi les bières produites, Henry m’explique qu’elles ont toutes une signification, une histoire en lien avec la brasserie.
Chaque bière se rapproche un peu plus de la famille et des traditions de Motte-Cordonnier. Tout d’abord la vitrine de la brasserie : René. Il s’agit d’une bière hommage au grand-père d’Henry. Cette bière spéciale titre à 6 degrés. Emile, en deuxième position sur la photo, est un ancien ingénieur en fermentation. La bière qui lui est dédiée est une triple assez forte. Camille, l’arrière-arrière-arrière grand-mère, est une IPA blanche. Cette dernière est à l’origine du nom “contemporain” de la brasserie (puisque la brasserie ne s’est pas toujours appelée Motte-Cordonnier). Deux autres bières éphémères viennent compléter la gamme. La bière de famille est une ambrée. Pour terminer, la dernière est une bière spécialement créée pour l’anniversaire de la brasserie. Pour ma part, j’ai gouté René, une bière relativement légère : ce qui en fait le compagnon idéal pour les apéritifs entre amis !
L’ambition après la reconstruction
J’ai senti chez Henry beaucoup d’ambition. Pour lui, le renouveau c’est une chose : mais il a une vision bien plus lointaine. Ce qu’il souhaite c’est étendre et diversifier son offre grâce notamment à de nouvelles recettes. Il me parle alors de bière 0°, de limonade et d’eau pétillante pour attirer plus de personnes vers eux mais aussi pour atteindre une clientèle plus jeune et locavore. Apparemment, Motte-Cordonnier n’en serait pas à son coup d’essai puisque des limonades étaient déjà produites dans l’enceinte du site historique. Son ambition est aussi de développer son offre de bières éphémères pour soutenir des causes qui lui tiennent à cœur. Ainsi, pour octobre rose, une bière a été fabriquée avec de l’hibiscus et les bénéfices seront entièrement reversés à une association luttant contre le cancer du sein. C’est pour Henry une manière de s’engager tout au long de l’année.
Un profond attachement au territoire
Je me suis demandé pourquoi il souhaitait tant se réimplanter à Armentières et j’ai compris rapidement l’attachement de la famille à ce territoire. Bien que le site ait subi de nombreux dégâts pendant la Première Guerre Mondiale (lire l’histoire de la bière en Flandre), des incendies et les secousses économiques : le site a été classé monument historique. Ce n’est pas rien puisque c’est ce qui permet aujourd’hui de le réhabiliter. Pour l’anecdote : il paraît que durant la révolte de mai 1968, les ouvriers étaient contre les manifestations tant ils se sentaient bien dans l’entreprise. Connaissez-vous encore aujourd’hui des entreprises comme celle-ci ? Motte-Cordonnier, c’est un peu la fierté d’Armentières. Les habitants ont tous une histoire avec Motte-Cordonnier, que ce soit de prés ou de loin.
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